jeudi 1 décembre 2011

Nous disons non


Lecture à partager : extraits de « Nous, nous disons non », texte d'Eduardo Galeano.

Nous disons non à l'éloge de l'argent et de la mort. Nous disons non à un système qui met un prix sur les choses et sur les gens, où ceux qui ont le plus sont ceux qui valent le plus; nous disons non à un monde qui investit en armes de guerre, deux millions de dollars chaque minute, tandis que chaque minute, trente enfants meurent de famine ou de maladie curable. La bombe à neutrons qui sauve les choses et qui tue des gens est un parfait symbole de notre époque. Pour le système meurtrier qui convertit en objectifs militaires les étoiles de la nuit, la planète tout entière n'est qu'une source de revenus qui doit produire jusqu'à la dernière goutte de son jus.

La pauvreté se multiplie pour multiplier la richesse, comme se multiplient aussi les armes qui veillent sur cette richesse et qui maintiennent tous les autres dans la pauvreté : nous disons non à un système qui ne donne ni à manger ni à aimer, qui condamnent plusieurs à la faim de nourriture et encore plus, à une famine d'étreintes.

Nous disons non au mensonge. La culture dominante, que les grands médias de communication élèvent à l'échelle universelle, nous emmène à confondre le monde avec un supermarché ou une piste de course, où le prochain n'est qu'un concurrent, mais jamais un frère.

D'après ce qu'elle dit et ce qu'elle tait, la culture dominante ment quand elle soutient que la pauvreté des pauvres n'explique pas la richesse des riches; elle ment quand elle dit que cette richesse n'est fille de personne, qu'elle provient de l'oreille d'une chèvre ou de la volonté de Dieu, qui a fait des pauvres des paresseux et des sots.

Le mépris trahit l'histoire et mutile le monde. Les puissants faiseurs d'opinions nous traitent comme si nous n'existions pas ou comme si nous étions des ombres stupides. L'héritage colonial oblige au soi-disant Tiers-monde, habité par des gens de troisième catégorie, à accepter comme la leur la mémoire des vainqueurs et à acheter les mensonges des autres pour l'utiliser comme si c'était la Vérité elle-même. Ils récompensent notre obéissance, punissent l'intelligence et découragent l'énergie créatrice. Nous sommes victimes d'opinions, mais nous ne pouvons pas être les experts. Nous avons droit qu'à l'écho et non à la voix.

Nous disons non : nous refusons d'accepter cette médiocrité en tant que destinée. Nous disons non à la peur. Non à la peur de dire, la peur de faire, la peur d'être. Le colonialisme visible interdit de dire, interdit de faire, interdit d'être. Le colonialisme invisible, plus efficace encore, nous convainc de ce qu'on ne peut pas dire, de ce qu'on ne peut pas faire, de ce qu'on ne peut pas être. Au mieux, nous pouvons aspirer à devenir prisonniers de bonne conduite, capables de payer ponctuellement les intérêts d'une énorme dette extérieure contractée pour financer le luxe que nous humilie et le bâton pour nous battre.

Et dans cet ordre des choses, nous disons non à la neutralité de la parole humaine. Nous disons non à ceux qui nous ont invités à nous laver les mains avant les crucifixions quotidiennes qui se produisent autour de nous.


Nous disons non au divorce de beauté et de la justice, parce que nous disons oui à son étreinte puissante et féconde.


Nous disons non à l'empire de l'avidité dévastatrice, nous disons oui à une autre Amérique, qui naîtra de la plus ancienne des traditions américaines : la tradition communautaire.


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